cause du Christ, fit-il. Et il tint parole. Il eut à subir de dures punitions au début, mais le gouverneur, le voyant résolu, lui donna son congé, et il alla demeurer à North Berwick, et il eut depuis ce jour un bon renom parmi les honnêtes gens.
Ce fut dans l’année 1706 que le Bass tomba en la possession des Dalrymples, qui chargèrent deux hommes de le garder. Tous deux étaient bien qualifiés, car ils avaient tous deux été soldats de la garnison, et savaient la manière avec les oies, et leurs saisons et leur valeur. Outre cela ils étaient tous deux – ou tous deux semblaient être – des hommes sérieux et de bonne compagnie. Le premier était justement Tam Dale, mon père. Le deuxième était un certain Lapraik, que les gens appelaient surtout Tod Lapraik, peut-être à cause de son caractère. Eh bien, Tam alla voir Lapraik pour ses affaires, et m’emmena par la main, car j’étais un tout petit garçon. Tod avait sa demeure dans l’ancien cloître, au-dessous du cimetière de l’église. C’est un cloître sombre et lugubre, outre que l’église a toujours eu mauvais renom depuis le temps de James VI ; et quant à la demeure de Tod, elle était située dans le coin le plus sombre, et ne plaisait guère aux gens bien renseignés. La porte était au loquet ce jour-là, et mon père et moi entrâmes sans frapper. Tod était tisserand de profession, et nous le trouvâmes assis devant son métier ; mais ce gros homme au teint blanc comme saindoux avait une espèce de sourire béat qui me donna le frisson. Sa main tenait la navette, mais il avait les yeux fermés. Nous l’appelâmes par son nom, nous le secouâmes par l’épaule. Rien n’y fit ! Il restait là sur son banc, et tenait la navette, et souriait blanc comme saindoux.
– Dieu nous bénisse ! dit Tam Dale, ceci n’est pas naturel.
Il avait à peine prononcé le mot, que Tod Lapraik revint à lui.
– C’est vous Tam ? dit-il. Hé l’ami, je suis heureux de vous voir. Il m’arrive parfois de tomber en pâmoison de la sorte, dit-il ; cela provient de l’estomac.
Eh bien, ils se mirent à bavarder concernant le Bass et lequel des deux en aurait la garde, et peu à peu ils en vinrent aux gros mots, et se séparèrent fâchés. Je me rappelle bien qu’en retournant à la maison avec mon père, il répéta plusieurs fois dans les mêmes termes qu’il n’aimait pas du tout Tod et ses pâmoisons.
– Des pâmoisons, dit-il. Il me semble que des gens ont été brûlés pour des pâmoisons comme celle-là.
Eh bien, mon père eut le Bass, et Tod put se brosser le ventre. On s’est souvenu de quelle façon il avait pris la chose. – Tam, dit-il, vous avez eu le dessus avec moi cette fois-ci encore, et j’espère, dit-il, que vous trouverez au moins tout ce que vous attendez sur le Bass. Expression que depuis on a trouvée singulière. À la fin l’époque arriva pour Tam de dénicher les jeunes oisons. C’était une affaire dont il avait bien l’habitude, car il avait fréquenté les falaises depuis sa jeunesse, et il ne se fiait à personne d’autre qu’à lui-même. Il était donc là suspendu par une corde le long de la falaise, là où elle est le plus élevée et le plus abrupte. Au moins vingt gars étaient en haut, tenant la corde et attentifs à ses signaux. Mais à l’endroit où Tam était suspendu il n’y avait rien que la falaise et la mer en bas, et les oies criaient et volaient. C’était une belle matinée de printemps, et Tam sifflait en dénichant les jeunes oisons. Bien souvent je lui ai entendu raconter son aventure, et chaque fois la sueur lui découlait du front.
Il arriva, voyez-vous, que Tam regarda en l’air, et il aperçut un gros oiseau, et l’oiseau becquetait la corde. Il trouva cela pas ordinaire et en dehors des habitudes de l’animal. Il songea que les cordes sont singulièrement fragiles, et le bec des oies et les roches du Bass singulièrement acérés, et que deux cents pieds étaient un peu plus qu’il ne se souciait de tomber.
– Brrou ! cria Tam. Va-t’en, oiseau ! Brrou ! va-t’en donc ! dit-il.
L’oie regarda de son haut Tam dans la figure, et il y avait quelque chose de pas ordinaire dans les yeux de la bête. Elle ne lui jeta qu’un coup d’œil, et se retourna vers la corde. Mais à présent elle besognait et luttait comme une forcenée. Jamais oie n’a fait la besogne que celle-là besognait ; et elle semblait connaître fort bien son métier, usant la corde entre son bec et une saillie de roche tranchante.
Le cœur de Tam se glaça de terreur. – Cet être n’est pas un oiseau, pensa-t-il. Les yeux lui tournèrent dans le crâne, et le jour s’obscurcit autour de lui. – S’il me prend une faiblesse, pensa-t-il, c’en est fait de Tam Dale. Et il fit au gars le signal de le remonter.
Et il semblait que l’oie comprenait les signaux. Car le signal ne fut pas plus tôt fait qu’elle lâcha la corde, déploya ses ailes, poussa un grand cri, fit un tour de vol, et se précipita droit sur les yeux de Tam Dale. Tam avait un couteau, il fit briller le froid acier. Et il sembla que l’oie connaissait les couteaux, car l’acier n’eut pas plus tôt brillé au soleil qu’elle poussa un cri, mais plus aigu, comme le désappointement, et s’envola derrière la saillie de la falaise, et Tam ne la vit plus. Et aussitôt que cette bête fut partie, la tête de Tam lui retomba sur l’épaule, et on le hissa comme un cadavre, ballottant contre la falaise.
Un coup d’eau-de-vie (il n’allait jamais sans) lui rendit ses esprits, ou ce qu’il en restait. Il se mit sur son séant.
– Courez, Géorgie, courez au bateau, et amarrez-le bien, mon ami – courez ! s’écria-t-il, ou cette oie va l’emporter, dit-il.
Les garçons le regardèrent ahuris et voulurent lui persuader de se tenir tranquille. Mais rien ne put le calmer, tant que l’un d’eux ne fût parti en avant pour monter la garde sur le bateau. Les autres lui demandèrent s’il allait redescendre.
– Non, répondit-il, et ni vous ni moi, dit-il, et aussitôt que j’arriverai à me remettre sur mes deux jambes nous quitterons cette falaise de Satan.
En vérité, ils ne perdirent pas de temps, et cela n’était pas trop nécessaire, car ils n’étaient pas arrivés à North Berwick que Tam était tombé dans le délire de la fièvre. Il y demeura tout l’été ; et qui est-ce qui eut l’obligeance de venir le visiter ? Notre Tod Lapraik ! On s’est avisé par la suite qu’à chaque fois que Tod était venu chez lui la fièvre avait redoublé. Je n’en sais rien ; mais ce que je sais bien c’est comment cela finit.
C’était à peu près la même saison de l’année qu’aujourd’hui : mon grand-père était allé pêcher ; et comme un gosse je l’accompagnais. Notre prise fut superbe, je m’en souviens, et la manière dont se présentait le poisson nous conduisit tout près du Bass où nous rencontrâmes un autre bateau qui appartenait à un nommé Sandie Fletcher, de Castleton. Il est mort depuis, sans quoi vous auriez pu aller le voir. Or donc Sandie nous héla.
– Qu’est-ce qu’il y a là-bas sur le Bass ? dit-il.
– Sur le Bass ? dit grand-père.
– Oui, dit Sandie. Sur le côté vert du Bass.
– Qu’est-ce qu’il peut bien y avoir ? dit grand-père. Il ne vient sur le Bass que des moutons.
– Ç’a tout l’air d’être un homme, fit Sandie, qui était plus proche que nous.
– Un homme ! disons-nous, et cela ne plaisait guère à personne. Car il n’y avait pas de bateau qui eût pu amener quelqu’un, et la clef de la prison était suspendue au-dessus du chevet de mon père à la maison.
Les deux bateaux restèrent ensemble pour se tenir compagnie, et nous avançâmes plus près. Grand-père avait une longue-vue, car il avait été marin, et capitaine d’un lougre, et il l’avait perdu sur les sables de la Tay. Et quand nous eûmes regardé à la longue-vue, plus de doute, c’était un homme. Il était sur un bout de la lande verte, un peu plus bas que la chapelle du côté sous le vent, et il sautait et dansait comme un fou à une noce.
– C’est Tod, dit grand-père. Et il passa la lunette à Sandie.
– Oui, c’est lui, dit Sandie.
– Ou quelqu’un à sa ressemblance, dit grand-père.
– C’est tout pareil, fit Sandie. Diable ou sorcier, je vais essayer mon fusil sur lui, fit-il.
Et il alla chercher une canardière qu’il avait apportée, car Sandie était connu dans tout le pays pour un tireur fameux.
– Attendez un peu, Sandie, fit grand-père ; il nous faut d’abord y voir plus clair, dit-il, ou bien cela pourrait nous coûter cher à tous les deux.
– Allons donc ! dit Sandie, c’est sans nul doute un jugement de Dieu, et damné soit l’individu !
– Peut-être que oui, peut-être que non, dit mon grand-père, le digne homme ! Mais songez-vous au procureur fiscal, avec qui, je crois, vous avez déjà eu maille à partir ? dit-il.
C’était trop vrai, et Sandie fut un peu décontenancé.
– Eh bien, Eddie, fit-il, et quel serait votre moyen ?
– Le voici, dit grand-père. Moi qui ai le bateau le plus rapide, je vais retourner à North Berwick, et vous resterez ici et tiendrez l’œil sur ça. Si je ne trouve pas Lapraik, je vous rejoindrai et à nous deux nous irons lui