navire de guerre fût propre le moins du monde à améliorer ma situation. Tout bien considéré, je promis à Andie bonne conduite et obéissance, et fus emmené vivement au sommet du rocher, où nous nous couchâmes tous, au bord de la falaise, guettant et dissimulés en divers lieux. Le Seahorse s’avança si près que je m’attendais à le voir s’échouer ; et nous pûmes, de notre surplomb vertigineux, voir les hommes d’équipage à leurs postes et entendre les coups de sifflet du chef de manœuvre. Puis il vira brusquement et lâcha une bordée de je ne sais combien de grosses pièces. Le rocher trembla sous ce bruit de tonnerre, la fumée s’envola par-dessus nos têtes, et les oies se levèrent en une multitude outrepassant le calcul et la croyance. Leurs cris et leurs battements d’ailes formaient un spectacle inouï et j’imagine que si le capitaine Palliser était venu si près du Bass c’était un peu en vue de se procurer ce plaisir puéril. Il devait le payer cher un jour. Durant son approche j’eus l’occasion de faire sur le gréement de ce navire certaines remarques qui me permirent de le reconnaître désormais à plusieurs milles de distance, et ce fut par ce moyen (Providence à part) que je détournai d’un ami un grand malheur, et infligeai au capitaine Palliser lui-même une forte déception.
Tout le temps de mon séjour sur le rocher nous ne manquâmes de rien. Nous avions de la petite bière et de l’eau-de-vie, et soir et matin du gruau pour faire notre porridge. À plusieurs reprises une barque vint, de Castleton, nous apporter des quartiers de mouton, car le troupeau de l’île, nourri spécialement pour le marché, devait rester intact. Les oies étaient malheureusement hors de saison, et nous n’y touchâmes point. Nous pêchions nous-mêmes, et plus souvent encore nous faisions pêcher les oies pour nous : lorsque l’une d’elles avait fait une prise, nous l’effrayions et lui faisions lâcher sa proie avant qu’elle ne l’eût avalée.
Le caractère singulier du lieu, et les nouveautés dont il abondait m’amusaient et me tenaient en haleine. L’évasion étant impossible, j’avais mon entière liberté, et j’explorais continuellement la superficie de l’île partout où le pied de l’homme pouvait s’y poser. L’ancien jardin de la prison était également curieux, avec ses fleurs et ses plantes redevenues sauvages, et quelques cerises mûres sur un buisson. Un peu plus bas se trouvait une chapelle ou ermitage ; qui l’a construit ou habité, on l’ignore, et l’idée de son antiquité faisait souvent l’objet de mes méditations. La prison aussi, où je bivouaquais alors avec des Highlanders voleurs de bestiaux, était un lieu plein d’histoire, tant profane que sacrée. J’estimais singulier que tant de saints et de martyrs y eussent passé si récemment, sans même y laisser un feuillet de leurs bibles, ou un nom gravé sur les murs, tandis que les soldats qui montaient la garde sur les remparts avaient empli le voisinage de leurs souvenirs – entre autres des pipes cassées, en quantité énorme, et des boutons de métal provenant de leurs habits. Il y avait des fois où je me figurais entendre les pieux accents des psaumes s’élever des cachots des martyrs et voir les soldats arpenter les remparts avec leurs pipes allumées, tandis que l’aube se levait derrière eux sur la mer du Nord.
Les récits d’Andie contribuaient sans doute beaucoup à me mettre ces idées en tête. Il était au courant de l’histoire du rocher, et il la savait dans le dernier détail, jusqu’au nom des soldats, son père en ayant fait partie. Il possédait d’ailleurs le don naturel de conter, au point que les personnages semblaient parler et les événements s’accomplir devant vous. Ce don qu’il avait et mon assiduité à l’écouter nous rapprochèrent peu à peu. J’avoue franchement qu’il me plaisait ; je vis bientôt que je lui étais également sympathique, et de fait, je m’étais efforcé dès le début de capter sa bienveillance. Un incident bizarre, et que je vais conter, réalisa la chose au-delà de mon attente ; mais même dans les premiers jours nos relations étaient cordiales pour celles d’un prisonnier avec son geôlier.
Je nierais l’évidence si je prétendais que mon séjour sur la Bass fut uniquement désagréable. Je m’y trouvais en sûreté, et pour ainsi dire à l’abri de toutes mes tribulations. Aucun mal ne m’était réservé ; une impossibilité matérielle, le roc et la mer profonde, m’interdisaient toute nouvelle tentative ; je savais que ma vie et mon honneur étaient saufs, et il y avait des fois où je m’en réjouissais comme d’un bien volé. D’autres fois mes pensées étaient toutes différentes. Je me rappelais avec quelle force je m’étais exprimé devant Rankeillor et devant Stewart ; je songeais que ma captivité sur le Bass, en vue d’une bonne partie des côtes du Fife et du Lothian, était une chose que l’on attribuerait plutôt à mon invention qu’à la réalité ; et aux yeux de ces deux gentlemen du moins, je devrais passer pour un vantard et un lâche. Parfois je prenais ce point de vue un peu à la légère ; je me disais qu’aussi longtemps que je serais en bons termes avec Catriona Drummond, l’opinion du reste des hommes était sans importance ; et je déviais alors dans ces méditations d’un amant qui sont exquises pour lui-même et qui ne peuvent manquer de paraître si étonnamment niaises à un lecteur. Mais parfois il me venait une autre crainte : ma vanité me frappait d’une véritable panique, et ces probables jugements sévères me semblaient d’une injustice intolérable. Là-dessus se déroulait un autre enchaînement d’idées, et je n’avais pas plus tôt commencé à m’inquiéter des jugements des hommes sur moi que mon souvenir était hanté par James Stewart dans sa prison et par les lamentations de sa femme. Alors, la colère s’emparait de moi : je ne me pardonnais plus de rester inactif : il me semblait que si j’étais le moins du monde un homme, je n’avais plus qu’à fuir au vol ou à la nage, hors de mon lieu de sûreté ; et c’était en de pareilles dispositions et pour apaiser mes scrupules que je m’appliquais tout particulièrement à gagner le bon vouloir de Andie Dale.
Finalement, par un beau matin où nous étions tous les deux seuls sur le sommet du rocher, je fis allusion à une récompense. Il me regarda, rejeta la tête en arrière, et se mit à rire.
– Oui, cela vous amuse, maître Dale, dis-je, mais si vous jetiez un coup d’œil sur ce papier, vous changeriez peut-être de gamme.
Les stupides Highlanders ne m’avaient pris au moment de ma capture que mon argent liquide, et le papier que je montrai alors à Andie était un récépissé de la Société des Lins Britanniques, libellé pour une somme importante.
Il le lut.
– Hé mais, vous n’êtes pas si mal en point, fit-il.
– Je pensais bien que cela modifierait votre opinion, répliquai-je.
– Baste ! cela me fait voir que vous êtes en situation de me corrompre ; mais je ne suis pas de ceux qu’on corrompt.
– Nous allons examiner cela encore un peu. Et premièrement je vais vous démontrer que je sais de quoi je parle. Vous avez l’ordre de me garder jusqu’après le jeudi 21 septembre.
– Vous ne vous trompez pas de beaucoup. Je dois vous laisser partir, sauf ordres contraires, le samedi 23.
Je sentis bien qu’il y avait quelque chose d’extrêmement insidieux dans cet arrangement. Le fait de me voir réapparaître juste à temps pour arriver trop tard discréditerait d’autant mieux mon explication, si j’étais tenté d’en fournir une ; et cela excita mon ardeur à la lutte. Je repris :
– Tenez, Andie, vous qui connaissez le monde, écoutez-moi, et pensez à ce que je vais vous dire. Je sais qu’il y a de grands personnages mêlés à cette affaire, et je n’ai aucun doute que vous ne vous appuyez sur leurs noms. J’ai vu moi-même plusieurs d’entre eux depuis le début de mon aventure, et leur ai parlé en face. Mais quel genre de crime ai-je donc commis ? ou à quel genre de procès dois-je succomber ? Être appréhendé le 30 août par quelques Highlanders loqueteux, transporté à un tas de vieilles pierres qui furent peut-être mais ne sont plus ni fort ni prison, mais seulement le logis du garde-chasse du Bass Rock, et être remis en liberté le 23 septembre, aussi secrètement que je fus tout d’abord arrêté – cela vous fait-il l’effet d’être quelque chose de légal ? cela vous fait-il l’effet d’être juste ? ou cela ne ressemble-t-il pas davantage à une basse et sale intrigue, dont ceux qui la dirigent sont eux-mêmes honteux ?
– Je ne vous dis pas le contraire, Shaws, répondit Andie. Cela paraît joliment souterrain. Et si les gens n’étaient bons vrais whigs et presbytériens pur sang, je les aurais envoyés promener plus loin que le Jourdain et Jérusalem, plutôt que de m’en mêler.
– Le maître de Lovat est donc un fameux whig, dis-je, et un beau presbytérien.
– Je ne sais rien de lui. Je n’ai pas été en relation avec les Lovat.
– Non, c’est avec Prestongrange que vous aurez traité.
– Ah, ça, je ne vous le dirai pas, fit Andie.
– Peu importe, si je le sais.
– Il y a une chose dont vous pouvez être bien assuré, Shaws, c’est que vous aurez beau faire, je ne traite pas avec vous, et je ne traiterai jamais.
– Eh bien, Andie, je vois qu’il me faut vous parler sans détours.
Et je lui exposai les faits dans leurs grandes lignes.
Il m’écouta jusqu’au bout avec une religieuse attention, et quand je me tus, un court débat se livra