un bout de temps à l’abri de ce bois, et vous me racontez que vous avez semé ces Fraser et MacGregor. Pourquoi ! Parce que je ne les vois plus, dites-vous. Hé, tête de bois, c’est ainsi qu’ils gagnent leur vie.
– Soit, mettons les choses au pis. Mais qu’allons-nous faire ?
– J’y pensais justement. Nous pouvons nous séparer. Ce n’est guère de mon goût ; et d’ailleurs, je vois des raisons contre. Primo, il fait maintenant une obscurité peu banale, et il est à la rigueur possible que nous leur échappions. Si nous restons ensemble, nous ne laissons qu’une piste ; si nous allons séparément, nous en laissons deux ; et c’est tant mieux pour ces messieurs. Et puis, secundo, s’ils relèvent nos traces, cela peut encore finir par un combat, Davie ; et là, je vous avoue que je serais désireux de vous avoir à mes côtés, et je crois que cela ne vous nuirait pas de m’avoir aux vôtres. Ainsi, à mon idée, il nous faut sortir de ce bois pas plus tard que dans une minute, et nous diriger sur Gilliane, où je dois trouver mon bateau. Cela nous rappellera un peu le vieux temps, Davie ; et le moment venu, nous aviserons à ce qu’il convient de faire. Je répugne à vous laisser ici, sans moi.
– Eh bien, soit ! à votre idée ! fis-je. Allez-vous repasser par chez les gens qui vous ont donné asile ?
– Diantre que non ! Ils ont été très gentils pour moi, mais je crois qu’ils seraient fort ennuyés de revoir mon charmant visage. Car, par le temps qui court, je ne suis pas tout à fait ce qu’on appelle « l’hôte désiré ». J’en tiens d’autant plus à votre compagnie, monsieur David Balfour de Shaws : rengorgez-vous. Car, sans compter deux bouts de causette ici dans le bois avec Charles Stewart, je n’ai guère dit ni blanc ni noir depuis le jour de notre séparation à Corstorphine.
Là-dessus il se leva, et nous nous mîmes en marche silencieusement vers l’est à travers le bois.
XII
De nouveau en route avec Alan
Il était entre une et deux heures environ ; la lune (je l’ai déjà dit) était couchée ; un vent d’ouest assez fort, charriant de gros nuages déchiquetés venait de se lever brusquement, et nous nous mîmes en route par la nuit la plus sombre qui favorisa jamais fugitif ou criminel. La blancheur du chemin nous guida jusque dans la ville endormie de Broughton, après quoi nous traversâmes Picardy, et je revis ma vieille connaissance le gibet aux deux voleurs. Un peu plus loin, une lumière éclairant une fenêtre haute de Lochend nous fournit un utile repère. Nous dirigeant d’après lui, mais non sans nous fourvoyer beaucoup, nous engageant parmi les blés, et trébuchant et tombant dans les sillons, nous coupâmes à travers champs, pour arriver enfin sur la lande herbue et marécageuse qu’on appelle les Figgate Whins. Là, nous nous couchâmes sous une touffe d’ajoncs, et passâmes à dormir le reste de la nuit.
Le jour nous éveilla vers cinq heures. C’était une belle matinée ; le grand vent d’ouest soufflait toujours, mais les nuages avaient fui vers l’Europe. Alan s’était déjà relevé à demi et souriait tout seul. Je n’avais pas encore vu mon ami depuis notre séparation, et je le regardai avec plaisir, il avait toujours sur le dos son même grand surtout ; mais de plus il portait maintenant une paire de houseaux tricotés qui lui venaient jusqu’au-dessus des genoux. Apparemment il les avait mis pour se déguiser, mais comme la journée s’annonçait chaude, ils étaient plutôt hors de saison.
– Dites, Davie, fit-il, n’est-ce pas une charmante matinée ? Voilà un jour comme tous devraient être. C’est fort différent des entrailles de ma meule de foin ; et tandis que vous étiez à ronfler stupidement, j’ai fait quelque chose qui m’arrive bien rarement.
– Quoi donc ?
– Oh, j’ai dit mes prières, voilà tout.
– Et où sont ces messieurs, comme vous dites ? lui demandai-je.
– Dieu le sait, répondit-il ; et quoi qu’il en soit cela ne change rien pour nous. Allons, debout ! Davie ! En avant ! que la Fortune nous guide une fois de plus ! Nous aurons toujours fait une charmante promenade.
Nous marchâmes donc vers l’est par le bord de la mer, dans la direction où les fours des salines fumaient à l’embouchure de l’Esk. En vérité le soleil brillait plus radieux qu’à l’ordinaire sur le Trône d’Arthur et les verdoyants Pentlands ; et la douceur du jour semblait mettre Alan sur des épines.
– C’est un vrai péché, dit-il, de quitter l’Écosse par un beau jour comme celui-ci ! Je me demande si je n’aimerais pas mieux rester au risque d’être pendu.
– Oui, Alan, mais vous ne voudriez pas, répliquai-je.
– Ce n’est pas que la France ne soit aussi un bon pays, reprit-il, mais ce n’est pas la même chose. La France est belle, soit, mais ce n’est pas l’Écosse. Je l’aime bien quand j’y suis ; et pourtant je regrette presque les marais d’Écosse et le relent de la tourbe écossaise.
– Si c’est là tout l’objet de vos regrets, Alan, ce n’est pas grand-chose.
– Et je ne suis guère fondé à me plaindre, d’ailleurs, quand je viens tout juste d’être délivré de cette meule de foin du diable.
– Vous étiez donc bien fatigué de votre meule de foin ?
– Fatigué n’est pas le mot. Je ne suis pas très précisément homme à me laisser abattre ; mais j’aime mieux l’air frais et l’espace libre autour de moi. Je suis comme le vieux Douglas le Noir, qui aimait mieux entendre le chant de l’alouette que le cri de la souris. Et cet endroit, voyez-vous, Davie, bien que propice comme cachette, je dois l’avouer, était noir comme poix de l’aube au crépuscule. Il y a eu certains jours (ou nuits, car comment les distinguer) qui m’ont paru aussi longs que tout un hiver.
– Comment saviez-vous que l’heure était venue d’aller au rendez-vous ? demandai-je.
– Le bonhomme m’apportait mon manger, avec une goutte d’eau-de-vie, et un bout de chandelle pour y voir, vers onze heures. Et quand j’avais avalé un morceau, il était à peu près temps de gagner le bois. Une fois là, je restais à m’ennuyer de vous rudement, Davie – (et ce disant, il me posa la main sur l’épaule) – et quand je jugeais que les deux heures étaient à peu près écoulées – sauf quand Charles Stewart venait me parler de ses démarches – je m’en retournais à la maudite meule de foin. Mais c’était une occupation peu drôle, et je bénis le Seigneur d’en avoir fini.
– Qu’est-ce que vous faisiez tout seul ? demandai-je.
– Ma foi, répondit-il, ce que je pouvais. À des moments je jouais aux osselets. Je suis très adroit aux osselets, mais ce n’est guère réjouissant de jouer sans personne pour vous admirer. D’autres fois je faisais des chansons.
– Sur quoi ?
– Oh, sur les daims et la bruyère, et sur les vieux chefs d’autrefois qui sont tous morts depuis longtemps, et sur tout ce avec quoi on fait des chansons en général. Et puis des fois je faisais semblant d’avoir une cornemuse et d’en jouer. Je jouais de grands airs, et je me figurais que je les jouais terriblement bien. Je voudrais un jour entendre leurs pareils ! Mais le principal est que ce soit fini.
Là-dessus il me remit sur mes aventures, qu’il écouta de nouveau d’un bout à l’autre, en exigeant plus de détails, et avec une satisfaction extraordinaire, jurant par moments que j’étais un singulier client.
– Ainsi vous avez eu peur de Sim Fraser ? demanda-t-il une fois.
– Certes oui ! m’écriai-je.
– J’en aurais eu peur moi aussi, Davie. Et c’est en effet un terrible individu. Mais il n’est que juste de rendre au diable ce qui lui est dû ; et je puis vous affirmer qu’il se conduit fort bien sur les champs de bataille.
– Il est donc brave ?
– Brave ! Il est brave comme l’acier de mon épée.
Le récit de mon duel le mit hors de lui.
– Quand j’y pense ! s’écria-t-il. Je vous ai pourtant fait voir le truc à Corrynakiegh. Et trois fois – trois fois désarmé ! C’est une honte pour moi qui vous ai appris ! Allons, en garde, cessez votre histoire ; vous n’irez pas plus loin sur cette route avant que vous ne sachiez faire plus d’honneur à vous-même et à moi.
– Mais Alan, ripostai-je, c’est de la folie pure. Ce n’est pas l’heure de m’apprendre l’escrime.
– Je ne puis trop rien dire là contre, avoua-t-il. Mais trois fois, mon ami ! Et vous vous teniez là comme un bonhomme de paille et vous couriez ramasser votre épée comme un chien à qui on jette un mouchoir ! Davie, ce Duncansby doit être quelqu’un de tout à fait peu ordinaire ! Il faut qu’il soit d’une habileté hors ligne. Si j’avais le temps, je m’en retournerais tout droit lui proposer la botte moi-même. Cet homme doit être un prévôt.
– Quelle bêtise, répliquai-je ; vous oubliez que ce n’était que moi.
– Non, mais trois fois !
– Quand vous savez vous-même que je suis absolument nul !
– Eh bien vrai, je n’ai jamais rien entendu de pareil.
– Je vous promets une chose, Alan, la prochaine fois que nous nous reverrons, je serai plus expérimenté. Vous n’aurez pas toujours à subir la honte d’avoir un ami qui ne sait pas tirer.
– Ouais, la prochaine fois ! Et quand sera-ce, je voudrais bien le savoir ?
– Eh bien, Alan, j’y ai déjà songé un peu, et voici mon plan. J’ai envie