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    2. Catriona (Les Aventures de David Balfour 2)
    3. Chapitre 20
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    petite amie !

    Puis, la saluant, je m’éloignai.

    Je devais, pour gagner Silvermills, descendre le cours de la Leith, et me diriger sur Stockbridge. Le sentier courait dans le bas du ravin, au milieu duquel l’eau bruissait tumultueusement ; des rais de soleil diagonaux s’allongeaient de l’ouest parmi les ombres et à chaque tournant la vallée me découvrait un nouveau paysage et un nouveau monde. Avec Catriona derrière moi et Alan devant, j’étais comme transporté. Le lieu aussi, l’heure et la chanson de l’eau, m’agréaient infiniment ; et je ralentis l’allure pour mieux regarder devant et derrière moi. Telle fut la cause (providence à part) grâce à laquelle je distinguai un peu en arrière de moi une tête rousse cachée entre des buissons.

    La colère me sauta au cœur et je fis volte-face pour rétrograder dans une gorge étroite que je venais de dépasser. Le sentier longeait de près les buissons où j’avais remarqué la tête ; et quand je parvins à la hauteur du fourré, tous mes muscles étaient bandés en prévision d’une attaque. Rien de semblable n’arriva et je passai sans voir personne, ce qui augmenta mes craintes. Il faisait encore jour mais le lieu était extrêmement isolé. Si mes persécuteurs avaient laissé échapper cette belle occasion, je devais en conclure qu’ils ne visaient pas seulement David Balfour. La vie d’Alan et celle de James pensaient sur mon âme avec la lourdeur de deux gros bœufs.

    Catriona était encore dans le jardin, à se promener toute seule.

    – Catriona, lui dis-je, me voici de retour.

    – Avec un autre visage, dit-elle.

    – Je porte la vie de deux hommes en sus de la mienne, fis-je. Ce serait un péché et une honte de ne point surveiller tous mes pas. Je me suis déjà demandé si je faisais bien de venir ici. Je ne voudrais pas que ce fût le moyen de nous mener à mal.

    – Je pourrais vous en nommer une qui le souhaite encore moins, et qui n’aime pas du tout ce que vous venez de dire là, s’écria-t-elle. Qu’ai-je donc fait, après tout ?

    – Oh ! vous !… s’il n’y avait que vous ! répliquai-je. Mais depuis mon départ j’ai été de nouveau pisté, et je puis vous dire le nom de celui qui me suit. C’est Neil, fils de Duncan, un homme à vous ou à votre père.

    – À coup sûr, vous faites erreur, dit-elle, en pâlissant. Neil est à Édimbourg, où il exécute les ordres de mon père.

    – C’est ce que je crains, dis-je, du moins pour la dernière partie de votre phrase. Mais quant à ce qu’il soit à Édimbourg, je crois pouvoir vous démontrer qu’il n’en est rien. Car vous avez sûrement un signal, un signal d’alarme, capable de le faire accourir à votre aide, s’il était quelque part à portée d’entendre et d’accourir.

    – Tiens, comment savez-vous cela ?

    – Au moyen d’un talisman magique que Dieu m’a donné lorsque je suis venu au monde et qui s’appelle Sens-commun. Ayez l’obligeance de faire votre signal, et je vous montrerai la tête rousse de Neil.

    Il n’est pas douteux que je parlais roide et sec. J’étais plein d’amertume. J’en voulais à la jeune fille et à moi-même et nous détestais tous les deux ; elle pour le vil troupeau dont elle était issue, moi pour la folle témérité de m’être fourré dans un pareil guêpier.

    Catriona porta ses doigts à ses lèvres et siffla une fois, sur une note excessivement forte, claire et ascendante, aussi nourrie que l’eût poussée un laboureur. Une minute nous attendîmes en silence ; et j’allais la prier de réitérer, lorsque j’entendis, sur le flanc du ravin, le bruit d’une course à travers la broussaille. En souriant, je lui désignai la direction et un instant après Neil bondissait dans le jardin. Ses yeux flamboyaient, et il avait à la main la lame nue d’un « couteau noir » (comme on dit en Highland) ; mais quand il m’aperçut à côté de sa maîtresse, il s’arrêta comme foudroyé.

    – Il est venu à votre appel, dis-je ; vous voyez s’il était bien près d’Édimbourg, et de quelle nature sont les ordres de votre père. Demandez-le-lui. Si par l’intermédiaire de votre clan, je dois perdre la vie, ou les autres vies qui dépendent de moi, il faut au moins que j’aille en toute connaissance de cause là où je dois aller.

    Elle l’interpella vivement en gaélique. Au souvenir de l’exacte politesse que montrait Alan sur ce point, je faillis éclater d’un rire amer ; à coup sûr, en présence de mes soupçons, c’était bien l’heure où elle aurait dû se servir de l’anglais.

    Ils échangèrent deux ou trois répliques, et je pus comprendre que Neil était furieux, en dépit de son obséquiosité.

    Puis, elle se tourna vers moi :

    – Il jure que ce n’est pas vrai.

    – Catriona, répliquai-je, est-ce que vous l’en croyez ?

    Elle fit le geste de se tordre les mains.

    – Comment le saurais-je ? s’écria-t-elle.

    – Mais il faut à tout prix que je sache, dis-je. Je ne puis demeurer dans cette incertitude ! Catriona, tâchez de vous mettre à ma place, tout comme je prends Dieu à témoin que je tâche de me mettre à la vôtre. De telles paroles n’auraient jamais dû être prononcées entre vous et moi ; non, jamais de telles paroles ; j’en ai le cœur navré. Tenez, gardez-le ici jusqu’à deux heures du matin, et cela me suffira. Proposez-le-lui.

    Une fois de plus, ils usèrent du gaélique.

    – Il me répond qu’il doit suivre les ordres de James More, mon père, dit-elle, plus pâle que jamais, et d’une voix presque défaillante.

    – Me voici donc renseigné, fis-je, et que Dieu pardonne aux méchants !

    Elle ne répliqua rien, mais continua de me regarder avec la même pâleur.

    – Voilà du joli ! repris-je. Il me faut donc périr et les deux autres avec moi !

    – Hé ! que me reste-t-il à faire ? s’écria-t-elle. Puis-je aller à rencontre des ordres de mon père, alors qu’il est en prison et que sa vie est en danger ?

    – Mais nous allons peut-être un peu vite, dis-je. Cet homme est peut-être aussi un menteur. Il n’a peut-être pas d’ordres réels ; c’est peut-être Simon qui dirige tout, sans que votre père en sache rien ?

    Elle éclata en sanglots sous nos yeux à tous deux ; et j’éprouvai une douleur aiguë de la voir dans une aussi terrible perplexité.

    – Allons, repris-je, gardez-le seulement une heure, et je risquerai le coup, en priant Dieu de vous bénir.

    Elle me tendit la main.

    – Je suis bien à plaindre, sanglota-t-elle.

    – Une heure entière, n’est-ce pas ? dis-je, en serrant sa main dans les miennes. Trois vies en dépendent, jeune fille !

    – Une heure entière, fit-elle, en implorant le pardon de son Rédempteur.

    J’estimai que je n’avais plus rien à faire là, et je pris ma course.

    XI

    Le bois de Silvermills

    Sans perdre un instant, aussi vite que je pus jouer des jambes, je descendis la vallée jusqu’au-delà de Stockbridge et de Silvermills. Alan m’avait prévenu qu’il serait chaque nuit entre minuit et deux heures « dans un petit bois à l’est de Silvermills et au sud du ru de moulin qui est dans le sud ». Je trouvai facilement ce bois, qui croissait sur une pente abrupte, au bas de laquelle coulait rapide et profond le ru de moulin. Une fois là, je me mis à marcher plus posément et à réfléchir de façon plus sensée à ma situation. Je m’aperçus que j’avais fait un marché de dupe avec Catriona. On ne pouvait supposer que Neil avait été envoyé seul pour exécuter sa mission, mais peut-être était-il le seul à dépendre de James More, auquel cas j’aurais fait tout ce qui était en mon pouvoir pour faire pendre le père de Catriona, sans améliorer en rien ma situation. À vrai dire, ces deux idées me répugnaient également. À supposer qu’en retenant Neil auprès de Catriona je l’eusse empêché de communiquer avec ses complices, ceux-ci restaient libres de me pister et d’arriver ainsi à découvrir la retraite d’Alan.

    J’étais arrivé à l’extrémité orientale du bois lorsque ces deux considérations me frappèrent comme un coup de massue. Mes pieds s’arrêtèrent d’eux-mêmes et mon cœur avec eux. – Quel jeu absurde ai-je donc joué ? pensai-je. Et je tournai aussitôt les talons pour m’en aller.

    Dans ce mouvement, je fis face à Silvermills. Le sentier contournait le village par un crochet, mais ne cessait de rester bien en vue ; et personne, ni du Highland ni du Lowland, ne s’y montrait. C’était pour moi une de ces conjonctures dont Stewart m’avait conseillé de profiter. Je courus donc tout le long du ru de moulin, dépassai la corne orientale du bois, que je traversai par son milieu, et revins à sa lisière occidentale, d’où je surveillai de nouveau le sentier, sans me laisser voir. Il était toujours désert, et cela me rendit quelque courage.

    Durant plus d’une heure je restai caché dans la lisière des arbres et ni lièvre ni aigle n’eût fait un guet plus vigilant. Au début de cette heure le soleil était déjà couché, mais le jour était encore clair et le ciel tout doré ; mais avant qu’elle fût écoulée, il faisait presque noir, les formes des objets et leurs distances se confondaient, et la surveillance devenait difficile. Cependant aucun être humain venant de Silvermills n’avait dirigé ses pas vers l’est, et les seuls qui fussent allés vers l’ouest étaient d’honnêtes paysans qui rentraient chez eux pour la nuit en compagnie de leurs femmes. Fussé-je pisté par les limiers d’Europe les plus rusés, cela dépassait l’ordre de la nature qu’ils pussent avoir le moindre soupçon de ma retraite ; aussi, pénétrant un peu plus loin dans-le bois,

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