remets ma vie et mon honneur entre vos mains.
– Bon, bon, fit Prestongrange, nous ferons en sorte de les sauvegarder. Et en attendant, revenons à des moyens plus doux. Il ne faut pas que vous gardiez rancune de ses paroles à mon ami M. Simon, qui n’a fait qu’obéir à son devoir. Et si même vous avez conçu quelque grief contre moi, qui par ma présence semblais lui donner mon approbation, je ne veux pas que ce grief s’étende aux membres innocents de ma famille. Ceux-ci tiennent beaucoup à vous revoir, et je ne puis admettre que mes jeunes personnes soient désappointées. Elles iront demain à Hope Park, et je crois tout à fait convenable que vous les escortiez. Venez me voir d’abord, car il est possible que j’aie quelque chose de particulier à vous dire ; après quoi vous serez renvoyé sous la garde de mes demoiselles. Réitérez-moi votre promesse de garder le silence jusqu’à ce moment-là.
J’aurais mieux fait de refuser tout de suite, mais réellement je n’avais plus la force de résister. Je fis ce qu’il me demandait, et pris congé sans savoir comment ; puis lorsque je me retrouvai dans l’impasse, délivré, et que la porte se fut refermée derrière moi, je m’adossai à un mur et m’essuyai le visage. Cette apparition hideuse (c’est bien le mot) de M. Simon vibrait dans ma mémoire comme un bruit soudain vibre dans l’oreille après qu’il a cessé. Toutes les histoires que j’avais lues et entendues, concernant le père de cet homme, sa duplicité, ses innombrables et perpétuelles trahisons, surgissaient devant moi et complétaient ce que je venais d’éprouver de sa part. Chaque fois qu’elle me revenait, l’ingénieuse malignité de cette calomnie dont il avait eu l’intention de stigmatiser mon honneur me faisait tressaillir de nouveau. Le sort de l’homme pendu au gibet sur la route de Leith m’apparaissait à peine distinct de celui que je devais désormais envisager comme le mien. De la part de deux hommes faits, voler de si peu que rien un enfant était à coup sûr une vile entreprise ; mais mon histoire à moi, telle devait être présentée aux juges par Simon Fraser, lui faisait à tous points de vue un digne pendant pour l’ignominie et la lâcheté.
Les voix de deux hommes en livrée causant sur le seuil de Prestongrange me rappelèrent à moi-même.
– Va, dit l’un, porter ce billet le plus vite possible chez le capitaine.
– Est-ce pour rappeler encore le cateran[11] ? demanda l’autre.
– On le dirait, répliqua le premier. Le maître et Simon ont besoin de lui.
– Prestongrange est devenu fou, reprit le deuxième. Il finira par coucher avec James More.
– Bah, ce n’est pas ton affaire ni la mienne, conclut le premier.
Et, se séparant, l’un partit exécuter sa commission, et l’autre rentra dans l’hôtel.
Je vis dans cet incident un symptôme des plus alarmants. J’étais à peine sorti qu’ils envoyaient aussitôt chercher James More, à qui M. Simon faisait sans doute allusion quand il parlait d’hommes en prison disposés à racheter leur vie à tout prix. Mes cheveux se hérissèrent sur mon crâne, et l’instant d’après tout mon sang fit un bond au souvenir de Catriona. Pauvre fille ! son père allait être pendu pour des méfaits très peu défendables. Et, chose qui était encore moins de mon goût, il semblait à cette heure prêt à sauver son individu par la pire honte et le plus vil des lâches assassinats – l’assassinat par faux témoignage ; et pour mettre le comble à nos malheurs, j’étais moi-même désigné pour lui servir de victime.
Je me mis à marcher vivement et au hasard, ne connaissant plus rien qu’un désir de mouvement, d’air et de larges horizons.
VII
Je pèche contre l’honneur
Entièrement à mon insu, j’arrivai sur les Lang dykes, grand chemin rural longeant du côté nord la cité qu’il domine. Je découvrais cette dernière dans toute son étendue noire, se déroulant depuis le château debout sur son rocher au-dessus du loch, en une longue rangée de clochers, de pignons et de cheminées fumantes. À cette vue mon cœur se gonfla dans mon sein. Ma jeunesse, je l’ai dit, était déjà formée aux dangers ; mais un danger comme celui que je venais de voir en face le matin même, au milieu de ce qu’on appelle la sécurité d’une ville, m’ébranlait en dépit de mon expérience. Péril d’esclavage ; péril de naufrage, péril d’épée et d’arme à feu, j’avais affronté le tout sans faiblir ; mais le péril embusqué dans la voix aigre et le visage gras de Simon, ou plutôt de lord Lovat, m’accablait entièrement.
Je m’assis au bord du lac à un endroit où les roseaux descendaient dans l’eau et je m’y trempai les poignets et m’humectai le front. Si j’avais pu le faire en sauvegardant quelque peu mon amour-propre, j’aurais pris la fuite et abandonné mon dessein téméraire. Mais, soit courage, soit lâcheté, ou même les deux peut-être, je me crus engagé sans possibilité de retraite. J’avais bravé ces hommes, je continuerais à les braver ; quoi qu’il pût advenir, je resterais fidèle à ma parole.
Le sentiment de ma constance releva mes esprits quelque peu, mais de guère. Je n’en gardais pas moins comme un poids de glace autour du cœur, et la vie m’apparaissait une bien sinistre aventure. Deux mortels entre tous excitaient ma pitié. L’un était moi-même, dépourvu d’amis et perdu au milieu des dangers. L’autre était cette enfant, la fille de James More. J’avais beau la connaître à peine, je ne l’en avais pas moins examinée et jugée. Je voyais en elle une fille d’un honneur intègre et quasi viril ; je l’estimais capable de mourir d’un déshonneur ; et cependant je croyais son père tout juste en train de marchander sa misérable vie contre la mienne. Il en résultait que j’associais dans mes pensées la jeune fille et moi. Je n’avais vu d’abord en elle qu’une rencontre de hasard, bien qu’elle me plût étrangement ; je la voyais à cette heure brusquement rapprochée de moi, comme étant la fille de mon ennemi mortel, et pour ainsi dire de mon assassin. J’estimais dur le sort qui m’obligeait à être harcelé et persécuté sans cesse pour le compte d’autrui, et à ne jouir moi-même d’aucun plaisir. J’avais de quoi manger, avec un lit pour y dormir lorsque mes préoccupations me le permettaient ; mais à part cela ma richesse ne m’était d’aucun secours. Si je devais être pendu, ma vie serait apparemment brève ; si je devais au contraire me tirer de cette mauvaise passe, mes jours pourraient encore me sembler longs avant d’arriver à leur fin. Tout à coup son visage me revint à la mémoire, tel que je l’avais vu d’abord, avec les lèvres entrouvertes. Aussitôt la faiblesse se répandit dans mon sein, et la vigueur dans mes jambes, et je me mis résolument en route dans la direction de Dean. Puisque je devais être pendu demain et que trop probablement je coucherais ce soir dans un cachot, je voulais m’entretenir une fois encore avec Catriona.
Stimulé par la marche et ranimé par la pensée de cette rencontre, je finis plus ou moins par retrouver du courage. En traversant le bourg de Dean, situé au bord du fleuve, dans le creux d’une vallée, je demandai ma route à un meunier, lequel me fit gravir la hauteur par un chemin facile et redescendre du côté opposé, jusqu’à une petite maison de bonne apparence entourée de pommiers et de prairies. J’étais plein de courage en pénétrant dans le jardin ; mais ce courage retomba tout à plat lorsque je me trouvai en présence d’une sévère et hautaine vieille dame, qui se promenait par là, coiffée d’une mantille blanche avec un chapeau d’homme par-dessus.
– Que venez-vous cherchez ici ? me demanda-t-elle.
Je lui répondis que j’étais en quête de miss Drummond.
– Et quelle affaire pouvez-vous bien avoir avec Miss Drummond ? répliqua-t-elle.
Je lui exposai que l’ayant rencontrée le samedi précédent j’avais été assez heureux pour lui rendre un léger service, et c’était à l’invitation de cette jeune dame que j’étais venu ici.
– Ah ! c’est donc vous Sixpence ! s’écria-t-elle, d’un ton fort narquois. Un beau présent, un fameux gentilhomme. Et avez-vous un autre nom pour vous désigner, ou êtes-vous baptisé Sixpence ? interrogea-t-elle.
Je lui déclinai mon nom.
– Dieu merci ! s’écria-t-elle. Ebenezer avait donc un fils ?
– Non, madame, répondis-je. Je suis fils d’Alexandre. C’est moi qui suis le laird de Shaws.
– Vous aurez du fil à retordre avant d’établir vos droits, dit-elle.
– Je m’aperçois que vous connaissiez mon oncle, dis-je ; et vous apprendrez peut-être avec d’autant plus de plaisir que l’affaire est arrangée.
– Et qu’est-ce que vous voulez à miss Drummond ? reprit-elle.
– Je suis venu réclamer mes six pence, madame. Il y a des chances pour qu’étant le neveu de mon oncle, je me montre un garçon économe.
– Vous avez donc en vous un grain d’esprit ? remarqua la vieille dame, non sans quelque plaisir. Je m’attendais à ce que vous soyez un simple nigaud – vous et vos six pence, et votre jour de bonheur, et votre pour l’amour de Balwhidder – (ce par quoi je fus heureux d’apprendre que Catriona n’avait pas oublié toute notre conversation). Mais tout ceci est à côté, reprit-elle. Dois-je entendre que vous êtes venu ici pour chercher une compagne ?
– Voilà une question à coup sûr prématurée, dis-je. La demoiselle est jeune, moi aussi, par malheur. Je ne l’ai vue qu’une fois. Je ne nierai pas, ajoutai-je, résolu à essayer de la franchise, je ne nierai pas qu’elle m’a beaucoup trotté par la tête depuis que je l’ai rencontrée. C’est là quelque chose, mais ce