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    2. Brouillons d'un baiser
    3. Chapitre 6
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    avait sans doute raison, que Nora avait recopié ces phrases dans un manuel de correspondance. On mesure la cruauté qu’il pouvait y avoir, en l’occurrence, à dicter ceci à Nora et donc à la forcer à recopier de nouveau ces inepties, vingt ans plus tard. Cela témoigne surtout de l’importance attachée par Joyce à cet épisode de 1904, dont on peut penser qu’il a été une source d’inspiration pour un des traits les plus saillants du style de sa maturité : la répétition à la fois parodique et sérieuse d’un discours stéréotypé.

    Fission

    Il se passe ensuite une chose étrange. Les quatre vieillards, qui n’étaient au départ que des témoins, porteurs d’un point de vue quadripartite sur le baiser, se révèlent être des personnages fascinants. Joyce va leur donner leur autonomie et les détacher (provisoirement) de Tristan et Iseult40. Les deux amants et les quatre vieillards feront donc l’objet de vignettes distinctes, qui vont évoluer séparément. Le poème « Tutto è sciolto » est retiré du même coup et rejoindra les Poèmes d’api quelques années plus tard41. Ce qui est plus important, c’est que le point de vue des vieillards va devenir le point de vue dominant de l’œuvre à venir et leur style en sera une des composantes majeures. À l’automne 1923, dans une nouvelle version (notre texte E), les quatre silhouettes se complexifient et s’enrichissent de nouvelles identités superposées. Les quatre Vagues deviennent aussi les quatre Maîtres, c’est-à-dire les historiens qui ont rédigé au xviie siècle les principales annales de l’histoire irlandaise, et encore les quatre évangélistes, Matthieu, Marc, Luc et Jean (John), soit la figure composite de Mamalujo, et enfin quatre vieux compères de beuverie, Matt Gregory, Marcus Lyons, Luke Tarpey et Johnny MacDougall. Cette version est plus opaque, avec davantage de mots déformés, mais surtout les mêmes expressions qui reviennent en boucle en un ressassement sénile. On est dans le prolongement d’un autre épisode d’Ulysse, « Eumée », qui mettait en œuvre une hilarante esthétique de la laideur, exprimant la fatigue de Bloom par une syntaxe pâteuse et un enchaînement d’expressions toutes faites mal raccordées les unes avec les autres. Mais avec les quatre vieillards, Joyce va encore plus loin : au-delà même du style, c’est le discours qui tourne en rond comme une musique répétitive. La chronologie explose, au profit du retour de quelques dates obsessionnelles, la logique narrative se délite et le récit patauge avec allégresse.

    C’est cette version qui constituera la base du premier texte que Joyce jugera digne d’être publié depuis la publication d’Ulysse et qui paraîtra, en tant que fragment de son œuvre en cours, dans la Transatlantic Review en avril 1925. Entre les deux, il y aura encore beaucoup d’ajouts et de modifications, mais l’essentiel de la structure est en place.

    Expansion et consolidation, repli et ouverture

    Joyce ne se désintéresse pas pour autant de Tristan et Iseult. Il approfondit sa conception du mythe, dont les éléments vont se diffuser bien au-delà de la scène initiale. Il reste en cela fidèle au principe de construction d’Ulysse, puisque la scène cruciale de l’adultère entre Molly et Boylan imprègne tout le livre sans être jamais représentée directement.

    Joyce va d’abord élargir ses sources. Pour lui, comme pour toute la culture fin de siècle dont il est issu, le mythe de Tristan est avant tout wagnérien. Ceci se marque d’abord dans l’orthographe du nom d’Iseult, qui peut s’écrire de diverses manières en anglais comme en français, mais Joyce, quand il ne l’abrège pas en I., Is. ou Issy, utilise toujours la forme allemande, Isolde. On remarque aussi que, dans notre texte B, la princesse irlandaise répond d’un Nein bien germanique quand son amoureux lui demande galamment si elle s’est déjà livrée à la fornication clandestine. Joyce va donc s’enquérir de la source de sa source en se renseignant sur l’origine biographique de l’opéra. Dans un livre d’Edouard Schuré, Woman the Inspirer 42, il trouve le récit des amours de Wagner avec Mathilde Wesendonck et il va noter avec amusement les paroles grandiloquentes qui accompagnent cette aventure assez sordide avant de les utiliser pour enrichir les premières versions de la scène du baiser et bien d’autres passages de Finnegans Wake. On peut même penser que les lettres de Wagner à Mathilde ont inspiré les tirades boursouflées de notre Tristan43.

    Sans doute Joyce a-t-il considéré que la démarche de Joseph Bédier, dans Le Roman de Tristan et Iseut, était un peu similaire à la sienne, dans la mesure où son récit s’appuie sur un ensemble de sources hétérogènes, des textes de provenances, de dates et de langues diverses, pour reconstituer une version médiévale de la légende de Tristan tout en laissant transparaître des origines celtiques beaucoup plus archaïques44. Joyce va le lire avec attention, en français et en traduction anglaise, et y puiser de nombreuses notes qu’il utilisera ultérieurement ici et là. Mais il se trouve précisément à un point où il commence à avoir accumulé une grande quantité de notes dans ses carnets et blocs-notes. Il a aussi écrit plusieurs esquisses, dont celles de Tristan et Iseult, et il ne sait toujours pas où il va et ce qu’il va faire de ce matériau. Il décide donc d’entreprendre une réorganisation de grande envergure. Une fois de plus, il se tourne vers son œuvre antérieure pour y chercher l’élan qui lui permettra d’avancer.

    Il prend un énorme cahier, de plus de mille pages, et le divise en sections, correspondant, pour l’essentiel, à ses œuvres publiées : les poèmes de Musique de Chambre, les nouvelles des Gens de Dublin, les trois actes des Exilés, les quatre parties du Portrait de l’artiste en jeune homme et les dix-huit épisodes d’Ulysse 45. Il va ensuite redistribuer ses notes dans les différentes sections en fonction de leurs affinités. Ce qui concerne Tristan et Iseult est affecté principalement aux sections qui correspondent aux deux premiers actes des Exilés, à l’évidence parce que cette pièce parle de séduction, d’adultère et de trahison46. Ainsi, on retrouve sous la rubrique du deuxième acte des Exilés

    la remarque sur la négativité odysséenne qui refermait le chantier d’Ulysse et inaugurait celui de l’œuvre à venir (« Polyphème est l’ombre d’Ulysse »), transposée dans les termes de la légende celtique (« Tantris est l’ombre de Tristan (EP)47 »). Joyce tente ainsi de mettre en marche une formidable machine qui doit lui permettre de retrouver, au point de départ de son nouveau texte, toute la profondeur et la richesse de relations contextuelles auxquelles ses œuvres achevées ont abouti.

    Cette curieuse entreprise de retournement sur soi-même, passablement incestueuse, constitue une étape importante de la genèse de Finnegans Wake, mais il est difficile d’aller de l’avant en regardant vers son propre passé. La véritable mise en route demandera une prise de distance, à la fois géographique et personnelle. Le livre ne démarra vraiment que quand Joyce eut l’idée d’un autre héros qui n’était pas irlandais, Humphrey Chimpden Earwicker. C’est lui qui allait devenir le personnage principal de Finnegans Wake et l’histoire de sa famille (transposée en histoire universelle) allait constituer le sujet du livre. À partir de là, l’écriture va pouvoir avancer à un rythme soutenu, et Joyce pourra se permettre un certain recul par rapport à ses œuvres antérieures48 et même par rapport à l’œuvre en cours49.

    Osculum redivivum

    Que sont devenus Tristan et Iseult dans ce nouveau contexte ? Ils ont été assez facilement intégrés au nouveau fil narratif. Humphrey Chimpden Earwicker – HCE – est à la fois le roi Marc et le père d’Iseult. Iseult, sous le nom d’Issy, se confond donc avec Isabelle, la fille d’HCE. La figure de Tristan est un peu plus périphérique : elle va être assimilée tantôt à l’un, tantôt à l’autre des deux fils de la famille, Shem et Shaun. Ils vont aussi s’inscrire dans le système de sigles que Joyce met au point pour manipuler ses personnages : Tristan est représenté tout simplement par un T majuscule, Iseult par un T inversé, ressemblant à un I, puis, en tant que personnalité double, par deux T couchés sur le côté, l’un tourné vers la gauche représentant Iseult la Blonde, Issy1, et l’autre tourné vers la droite représentant Iseult aux blanches mains, Issy2.

    Le baiser, lui, semble longtemps oublié, mais il va finalement trouver sa place au chapitre 4 du livre II, composé en 1938, sous une forme qui le rend pratiquement méconnaissable. Tristan et Iseult et Mamalujo, la scène du baiser et ses voyeurs, vont se trouver réunifiés. Ce qui ne signifie pas que notre texte D soit reconstitué. Le style de Joyce a considérablement évolué depuis sa rédaction. La quasi-limpidité des premières vignettes a été remplacée par une opacité qui vaut bien celle des « hublots cataractiques » et la linéarité narrative a été remplacée par une complexité diabolique. En accord avec les principes esthétiques et les techniques qu’il avait mis au point en quinze ans de travail intense, Joyce a dépecé la scène du baiser en très brefs fragments et a injecté ces fragments, en même temps que d’autres matériaux et sans respecter l’ordre initial, à l’intérieur du discours de Mamalujo. Si l’on compare le texte publié50 avec les esquisses que nous présentons ici, on mesurera l’écart énorme qui les sépare − et en même temps, on sera saisi d’une étrange impression de familiarité.

    Il faut donc être clair : les vignettes que nous publions ne sont pas des textes faisant partie de l’œuvre de Joyce51. Ce que nous proposons à la curiosité du lecteur, c’est une transcription de manuscrits qui ont joué un rôle capital dans le développement d’ensemble de la dernière œuvre de Joyce et qui sont par ailleurs les premiers germes d’un des plus beaux chapitres de ce

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