dépassé. Landon me donne un verre d’eau et m’intime de monter dans ma chambre.
J’arrive à esquisser un sourire, mais en haut, un instinct pervers me conduit devant la chambre d’Hardin. Lorsque je m’en rends compte, la douleur est tellement ravivée que je me détourne brusquement pour revenir de l’autre côté du couloir. Les souvenirs de la nuit où j’ai accouru à son chevet alors qu’il hurlait dans son sommeil brûlent encore en moi. Je reste assise, abasourdie, sur le lit de « ma chambre », pas très sûre de ce que je vais pouvoir faire dans les minutes qui suivent.
Landon me rejoint quelques instants plus tard. Il s’assied à côté de moi, assez près pour me montrer sa sollicitude mais assez loin pour me témoigner son respect, comme il le fait toujours.
– Tu veux en parler ? me demande-t-il gentiment.
J’acquiesce en silence. Même si répéter cette histoire me fait plus de mal que de l’apprendre pour la première fois, tout raconter à Landon me libère un peu ; c’est réconfortant de savoir qu’au moins une personne n’était pas au courant de mon humiliation depuis le début.
En m’écoutant, Landon est resté de marbre, à tel point que je n’arrive pas à deviner ce qu’il pense. Je voudrais savoir ce qu’il en déduit de la personnalité de son demi-frère. Et de la mienne. Mais lorsque je termine mon histoire, il se lève d’un bond, débordant de colère.
– Je n’arrive pas à y croire ! Qu’est-ce qui ne va pas dans sa tête ? Et moi qui croyais qu’il devenait presque… correct… il a fait ça ! C’est du grand n’importe quoi ! Je n’arrive pas à croire qu’il t’ait fait une chose pareille, à toi. Pourquoi détruire la seule chose qu’il a ?
À peine Landon a-t-il fini sa phrase qu’il tourne brutalement la tête… Et je les entends aussi, ces pas précipités dans l’escalier. Pas simplement des pas, d’ailleurs, plutôt le bruit de lourdes bottes claquant contre les marches de bois à un rythme d’enfer. L’espace d’un instant, je pense même à me cacher dans le placard, mais nous nous exclamons d’une même voix :
– C’est lui !
Le visage de Landon est devenu grave.
– Tu veux le voir ?
Je secoue la tête frénétiquement et Landon esquisse un mouvement pour fermer la porte juste au moment où la voix d’Hardin me transperce.
– Tessa !
À l’instant où Landon tend le bras, Hardin franchit le pas de la porte, le bouscule et passe devant lui. Il s’arrête au milieu de la pièce en même temps que je me lève du lit. Peu habitué à ce genre de scène, Landon reste planté là, interdit. Hardin soupire en se passant la main dans les cheveux.
– Tessa, Dieu merci. Dieu merci tu es là.
Le voir me fait mal, je détourne le regard pour me concentrer sur le mur.
– Tessa, Bébé. Il faut que tu m’écoutes. S’il te plaît, juste…
Sans dire un mot, je m’avance vers lui. Ses yeux s’illuminent d’espoir et il tend la main vers moi, mais je poursuis mon chemin. Je sens une vague d’espoir s’écraser contre lui. Bien fait.
– Parle-moi, me supplie-t-il.
Mais je ne fais que secouer la tête et m’installe aux côtés de Landon avant de lui crier :
– Non. Je ne te reparlerai jamais.
– Tu ne peux pas dire ça…
– Éloigne-toi de moi !
Il m’attrape le bras. Landon s’interpose entre nous et place sa main sur l’épaule de son demi-frère avant de dire :
– Hardin, il faut que tu y ailles.
Hardin serre les dents et promène son regard de lui à moi avant de l’avertir :
– Landon, casse-toi !
Mais Landon reste campé sur sa position. Je connais suffisamment Hardin pour savoir qu’il est en train d’évaluer si ça vaut la peine de tabasser Landon sous mes yeux. Semblant décider que le jeu n’en vaut pas la chandelle, il prend une grande inspiration en essayant de garder son calme :
– S’il te plaît… Donne-nous une minute.
Landon me regarde et je le supplie du regard. Il se retourne vers Hardin :
– Elle ne veut pas te parler.
– Ne me dis pas ce qu’elle veut, putain !
Hardin crie et lance son poing contre le mur, fissurant le plâtre.
Je saute en arrière et recommence à pleurer. Pas maintenant, pas maintenant. Je répète ces mots silencieusement pour essayer de gérer mes émotions.
– Va-t’en, Hardin !
Maintenant, c’est Landon qui crie juste au moment où Ken et Karen franchissent le pas de la porte. Oh non ! Je n’aurais jamais dû venir ici.
– Nom de Dieu, qu’est-ce qui se passe ici ? demande Ken.
Personne ne répond. Karen me regarde avec empathie et Ken réitère sa question. Hardin jette un regard meurtrier à son père avant de répondre :
– J’essaie de parler à Tessa, et Landon ferait mieux de s’occuper de son cul plutôt que de mes affaires !
Ken regarde Landon, puis se tourne vers moi et reprend :
– Qu’est-ce que tu as fait, Hardin ?
Son ton a changé. Il est passé de l’inquiétude à… la colère ? J’ai du mal à savoir.
– Rien ! Putain ! s’exclame Hardin en levant les bras.
– Il a tout foutu en l’air, voilà ce qu’il a fait et maintenant, Tessa n’a nulle part où aller, résume Landon.
Je voudrais parler, je ne sais juste pas quoi dire.
– Elle a quelque part où aller, elle peut rentrer à la maison. Là où est sa place… avec moi, répond Hardin.
– Hardin s’est joué de Tessa tout le temps de leur relation, il lui a fait des choses innommables, laisse échapper Landon.
Karen s’approche de moi, le souffle coupé. Je rentre dans ma coquille, littéralement. Je ne me suis jamais sentie aussi nue et petite. Je ne voulais pas que Ken et Karen soient au courant… mais ça ne va plus changer grand-chose puisque, dans quelques heures, ils ne voudront certainement plus me voir. Interrompant cette spirale infernale, Ken me demande :
– Est-ce que tu veux rentrer avec lui ?
Je secoue faiblement la tête.
– Je ne pars pas d’ici sans toi.
Hardin parle d’un ton tranchant, il s’approche de moi mais j’esquisse un mouvement de recul. Ken me surprend en s’interposant :
– Je crois que tu devrais y aller, Hardin.
Le visage d’Hardin prend une teinte rouge sombre, empreint de ce que je ne peux qualifier que de rage.
– Pardon ? Tu devrais t’estimer heureux que je vienne ne serait-ce que poser un orteil chez toi… et tu oses me mettre à la porte ?
– J’ai été ravi du tournant qu’a pris notre relation, mais ce soir, il faut que tu partes.
– C’est n’importe quoi. Qui est-elle pour toi ?
Ken se tourne vers moi puis revient vers son fils et lui répond avant de baisser la tête :
– Quoi que tu lui aies fait, j’espère que ça valait la peine de perdre la seule bonne chose qui te soit jamais arrivée.
Je ne sais pas si c’est à cause du poids des mots de Ken ou si sa rage maîtrisée avait atteint son paroxysme et s’est évaporée, mais Hardin s’interrompt soudain, me regarde rapidement, puis sort de la pièce. Nous demeurons tous interdits en l’entendant descendre les escaliers à un rythme régulier. Le claquement de la porte se répercute dans la maison, qui redevient silencieuse. Je me tourne vers Ken et me mets à sangloter :
– Je suis tellement désolée. Je vais m’en aller. Je ne voulais pas en arriver là.
– Non, reste aussi longtemps que tu en auras besoin. Tu es toujours la bienvenue ici.
– Je ne voulais pas me mettre entre vous.
Ken et Karen me serrent dans leurs bras. Je me sens très mal d’avoir poussé Ken à mettre son fils à la porte. Karen m’attrape la main, la serre légèrement et Ken me regarde, aussi exaspéré qu’épuisé, avant de répondre :
– Tessa, j’aime Hardin, mais nous savons tous les deux que sans toi, il n’y aurait rien entre nous.
2
Tessa
* * *
Je suis restée aussi longtemps que j’ai pu, laissant l’eau couler sur moi. Je voulais qu’elle me nettoie, qu’elle me rassure quelque part. Mais la douche brûlante ne m’a pas aidée à me relaxer comme je l’avais espéré. Je n’arrive pas à trouver quel baume appliquer sur cette plaie à vif. Elle semble ne pas avoir de fond. Être incrustée en moi. Comme un organisme qui aurait élu domicile en moi, comme un trou béant qui ne cesse de s’agrandir. J’ai très mauvaise conscience pour le mur. J’ai proposé de payer la réparation, mais Ken refuse. J’en ai parlé à Landon en brossant mes cheveux mouillés.
– Ne t’inquiète pas pour ça. Tu as d’autres soucis plus importants, me rassure Landon en me massant le dos.
– Je n’arrive pas à comprendre comment j’ai pu en arriver là. (Je regarde dans le vague, évitant de croiser le regard de mon meilleur ami.) Il y a trois mois, tout était parfaitement logique. J’avais Noah, qui ne m’aurait jamais rien fait de tel. J’étais proche de ma mère et je savais comment ma vie allait se passer. Maintenant, je n’ai plus rien. Vraiment plus rien. Je ne sais même pas si je dois